Pour le nouveau DJ booth du Badaboum, le bureau Nicolas Dorval-Bory Architectes a exploré un renouvellement de l’esthétique industrielle du lieu. A l’image de la musique jouée ici, directe, radicale, surprenante, notre intervention recherche la simplicité, l’efficacité et l’audace : trois éléments standardisés structurels – des poutres métalliques IPE – sont posés au sol, délicatement empilés pour former le booth. Leur surdimensionnement impressionne, leur normalité étonne, leur blancheur, simplement ponctuée de touches de couleurs marque définitivement l’espace du club. La limite du booth ne tient plus seulement dans un objet de design, mais davantage dans l’élégance d’un assemblage élémentaire, brutal, familier, radical.
Pouvons-nous mettre en résonance des genres musicaux avec des styles architecturaux ?
Dans l’histoire de l’art, les mouvements artistiques sont toujours plus ou moins liés entre eux, tout simplement parce qu’ils reflètent l’avant-garde dans l’histoire des idées et des manières de voir le monde. A ce titre, le Modernisme (première moitié du XXe siècle) et le Post-Modernisme (deuxième moitié) sont les courants les plus facilement identifiables, transversalement, dans la musique, la peinture, l’architecture ou la littérature.
Les musiques électroniques, tout comme l’architecture contemporaine, ont ceci d’intéressants qu’elles empruntent autant à ces deux mouvements des éléments fondamentaux, tout en y mêlant une spontanéité et la simplicité issue des musiques populaires. La rationalisme et le minimalisme Moderne y sont tout aussi présents que les motifs ancestraux, références sonores et autres harmoniques traditionnelles valorisés par le Post-Modernisme, structuré autour d’une rythmique élémentaire, basique, 4/4. Aussi, l’approche « curatoriale » du DJ est une manifestation très contemporaine des enjeux collaboratifs dans les autres milieux artistiques. De la même manière qu’un projet architectural ne se fait plus seul, le DJ convoque et organise un ensemble de talents, les uns après les autres, et selon le public pour qui il joue.
Qui de la musique et de l’architecture est au service de l’autre ?
Goethe disait en 1803 que l’architecture était de la musique gelée (Architektur als « erstarrte Musik »), soulignant un rapport au temps fondamentalement opposé. On peut dire que l’architecture, en ce sens qu’elle est une construction « passive », réceptacle des activités humaines, est plutôt au service de ces dernières qui, elles, se développent dans le temps. La musique, et corollairement la danse, sont des manifestations qui viennent remplir, littéralement, l’architecture.
Pour les architectes, quelles sont les problématiques inhérentes à la musique électronique ?
L’acoustique architecturale est très différente qu’il s’agisse de musique non-amplifiée ou de musique dite « enregistrée ». Pour la première, la forme et les matériaux des espaces vont véritablement participer à la texture de la musique : c’est le cas des églises, des salles de concerts classiques, etc.
Pour la musique électronique, la problématique est tout autre : la musique est diffusée un peu partout, et à très fort volume. Il y a donc deux effets architecturaux directs : permettre au public d’identifier (ou pas, selon la volonté du club) où est jouée la musique, et l’isolation du volume pour ne pas déranger le voisinage. Il y a une idée forte d’abstraction et de réalité parallèle dans la musique électronique, et plus généralement dans la culture du clubbing. Les nombreux paramètres qui composent l’espace-temps d’un club vont dans ce sens là : lumières fragmentées, matériaux sombres, volume sonore élevé, etc. Pour l’architecte, il s’agit d’accompagner cette recherche de décalage. Par ailleurs, la question de l’isolation phonique implique un certain nombre de formes et de matériaux : facettes et matériaux souples pour l’absorption et la diffusion des hautes fréquences, béton et autres matériaux lourds pour l’isolation dans les basses. Ces aspects-là, s’ils sont abordés frontalement, peuvent déterminer une certaine esthétique architecturale.
Quelles sont vos expériences et aspirations dans ce dialogue musique-architecture ?
Le travail de l’architecture par le biais d’éléments atmosphériques ou invisibles, comme l’acoustique, la lumière ou la température, est ce qui m’anime vraiment. Nous avons fait plusieurs projets qui tournent autour de ces sujets, et sur l’acoustique en particulier on peut citer entre autres un concours d’hôtel en Lettonie (2e prix), une boite de nuit éphémère à la Villa Noailles avec Martinez-Barat-Lafore, et plus récemment l’espace central de la Maison de la Radio (en cours), où les données thermiques, lumineuses et sonores se répondent.
A chaque fois, je m’intéresse à la physique réelle derrière les phénomènes, et comment ils peuvent générer une qualité d’espace et une esthétique. Mais au delà du sujet physique, la musique a cette dimension particulière de construction culturelle et de plaisir, phénomène mystérieux dont on ne connait pas tout à fait l’origine, qui l’éloigne de la rigueur des autres phénomènes scientifiques. C’est aussi ce qui rend passionnante la réflexion autour de ce thème.
Nicolas Dorval-Bory